882 adolescents vivaient derrière les barreaux au 1er juillet dernier. Si l’on y ajoute le nombre de jeunes en centre éducatif fermé, ce sont plus de 1350 mineurs qui sont enfermés. Un nombre qui ne cesse d’augmenter. La réforme de l’Ordonnance de 1945 sur la justice des mineurs présentée par la garde des Sceaux le 11 septembre dernier, essentiellement cosmétique, ne s’attaque pas réellement au problème – et risque même de l’aggraver.

« La France n’est pas assez riche d’enfants pour qu’elle ait le droit de négliger tout ce qui peut en faire des êtres sains », pose, dans son préambule, l’Ordonnance du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante. Pourtant – et alors que tous les textes, qu’ils soient internationaux ou nationaux, présentent la détention d’un mineur « comme une “anormalité” uniquement acceptable en dernier recours »(1) –, chaque année, ce sont environ 3 000 jeunes que l’on emprisonne(2). La plupart d’entre eux le sont avant même d’avoir été définitivement condamnés : au 1er juillet, 80 % des mineurs détenus avaient le statut de prévenu(3). Les trois quarts des adolescents incarcérés finissent dans le quartier pour mineurs d’une maison d’arrêt. Là-bas, un seul « avantage », par rapport aux détenus majeurs : chacun sa cellule, à quelques exceptions près. Pour le reste, le traitement est le même pour l’essentiel : conditions matérielles « indignes » ou « vétustes » à Villepinte, Strasbourg ou Caen, dénonce le Contrôle général des lieux de privation de liberté (CGLPL). Climat de violence. Vacuité du quotidien. Certains jours, « ils sont seuls avec leur télé. Pendant les vacances, ils s’ennuient à mourir », enfermés 23 heures sur 24 dans neuf mètres carrés, témoigne une éducatrice. Attente interminable pour voir un médecin, un psychiatre. Et que dire de l’accès à l’éducation ? 25 % des jeunes détenus ont moins de six heures de cours hebdomadaires, 70 % moins de onze(4).

Dans les prisons d’Îlede- France (qui accueillent un quart des mineurs incarcérés en 2018), ils peuvent attendre un mois avant de voir leur premier professeur – alors que leur détention dure en moyenne trois mois. Les établissements pénitentiaires pour mineurs (EPM) – prisons spécialement créées pour la détention des adolescents – devaient remédier à tous ces maux et donner toute sa place à l’éducation et au soin. Mais dix-sept ans après leur création, force est de constater que le sécuritaire l’emporte sur le reste. Surtout, les quartiers mineurs qu’ils devaient remplacer sont toujours pleins. Et le nombre de jeunes incarcérés est à la hausse, sans qu’aucune corrélation ne puisse être établie avec l’évolution de la délinquance – par ailleurs difficile à mesurer(5). En réalité, cette augmentation est surtout la conséquence du vent répressif qui souffle sur les mineurs depuis une vingtaine d’années.

Répression accrue

Les années 2000 ont en effet été marquées par une avalanche de lois sécuritaires, dont les jeunes – et plus encore, ceux des quartiers populaires – ont été l’une des cibles privilégiées. Dès le début de la décennie, certains comportements « spécifiques aux mineurs »(6) sont pénalisés. Parallèlement, les procédures s’accélèrent afin de gérer les flux et de sanctionner plus vite. Une loi de 2002 crée la « procédure de jugement à délai rapproché », qui deviendra « procédure de présentation immédiate », ou PIM, en 2007. Un dispositif calqué sur le modèle de la comparution immédiate applicable aux majeurs. Avec la PIM, le procureur peut décider de faire comparaître le mineur au tribunal pour enfants sans information préalable et dans un délai d’un mois maximum, « entamant les principes de l’instruction obligatoire et de la primauté de l’éducatif sur le répressif », souligne la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH).

Sanctionner plus vite donc, mais aussi plus fort. Les possibilités de réponse pénale se durcissent, avec une tendance à donner une « plus grande importance aux mesures de privation de liberté parmi la palette de mesures dont disposent les juges des enfants », relève un rapport parlementaire( 7). En 2002, la loi Perben I crée non seulement les EPM, mais aussi les centres éducatifs fermés (CEF). Échelon intermédiaire entre le foyer classique et la prison, cette nouvelle forme de placement est nécessairement adossée à une mesure probatoire, qu’il s’agisse d’un contrôle judiciaire, d’un sursis avec mise à l’épreuve ou d’un aménagement de peine. Bientôt, les possibilités de placement sous contrôle judiciaire sont étendues : jusque-là limitée aux mineurs âgés de plus de 16 ans, cette mesure peut, depuis 2007(8), être prononcée dès 13 ans, y compris à l’encontre de primo-délinquants(9).

Toujours plus de jeunes menacés d’incarcération

Conséquence : de 4 277 décisions de placement sous contrôle judiciaire en 2007, on est passé à 7 209 en 2017(10), soit une augmentation de 70 % en dix ans. Une hausse pour partie liée à celle du nombre de placements en centre éducatif fermé, qui passe de 286 jeunes placés en 2007 à 487 jeunes au 31 décembre 2018. Ce chiffre en cache un autre : au cours de l’année 2016 – les données des années suivantes ne sont pas disponibles – ce sont en réalité 1546 mineurs qui ont défilé en CEF(11). « Le problème est que le contrôle judiciaire est une mesure coercitive : si on ne le respecte pas, on encourt la détention », souligne Sophie Legrand, du Syndicat de la magistrature (SM). Or, « les obligations qui en découlent et l’absence de leurs limites dans le temps sont difficiles à appréhender par des mineurs en manque eux-mêmes de limites », analyse la CNCDH. In fine, pour l’institution, il est « manifeste que le contrôle judiciaire nourrit la détention provisoire » – détention provisoire qui joue elle-même un « rôle déterminant »(12) dans la progression de l’enfermement des mineurs. Et la tendance ne va pas en s’arrangeant : dans un contexte de lutte contre le terrorisme résolument répressif, les mineurs poursuivis(13) – souvent « soit pour avoir voulu partir en Syrie, soit pour s’être exprimés sur les réseaux sociaux », précise la CNCDH – font l’objet d’un « recours massif à l’enfermement, notamment sous le régime de la détention provisoire »(14). Et ce, pour des durées particulièrement longues, au minimum un à deux ans. Or, la loi du 21 juillet 2016 renforçant la lutte antiterroriste a encore augmenté la durée maximale de la détention provisoire des mineurs âgés de plus de 16 ans, qui est portée à trois ans pour certaines infractions.

Face à cette inflation du recours à l’enfermement, nombreuses étaient les voix à s’élever pour réclamer une refonte de l’Ordonnance de 1945 qui aille dans le sens d’une restauration de ses principes fondateurs, que plusieurs dizaines de réformes successives avaient largement entamés. Mais la réforme présentée en Conseil des ministres le 11 septembre dernier et qui devrait entrer en vigueur le 1er octobre 2020 ne renverse pas la vapeur. Au contraire même, puisqu’elle poursuit – en les aggravant – deux tendances lourdes qui mettent à mal le principe de la primauté de l’éducatif sur le répressif : l’accélération des procédures et l’extension de la contrainte sur les mineurs.

Une réforme qui ne règle rien

Première disposition phare de la réforme Belloubet : l’instauration d’une présomption d’irresponsabilité pour jeunes de moins de 13 ans, afin que ceux-ci ne puissent plus être poursuivis pénalement. Avant tout symbolique, la mesure ne devrait en réalité pas changer grand-chose pour les enfants concernés : un enfant de 10 ans pourra toujours faire l’objet de poursuites si le magistrat l’estime capable de discernement, et il pourra se voir imposer des mesures éducatives dans un cadre pénal. Or, « le problème, lorsque l’on démarre très tôt, c’est que l’on risque très vite d’épuiser toutes les mesures éducatives. Les 13 ans atteints, il y a la tentation de passer au cran supérieur » – c’est-à-dire à l’incarcération, explique Sophie Legrand, du Syndicat de la magistrature. Une mécanique que la réforme ne permet donc pas réellement d’enrayer. Différents acteurs, dont l’Unicef, déplorent également le maintien de l’exception prévue à l’excuse de minorité pour les plus de 16 ans.

Autre mesure emblématique défendue par le gouvernement, la césure du procès pénal. Instaurant une procédure de jugement en deux temps, celle-ci devait officiellement permettre de « prendre le temps d’étudier la personnalité, l’environnement et l’évolution de la personne mise en cause pour prononcer une peine individualisée et la plus adaptée possible à ses problématiques ». Mais au prétexte de réduire les très longs délais de jugement actuels – dix-huit mois en moyenne –, le gouvernement a assorti la mesure de délais contraints, aussi bien avant l’audience de culpabilité (qui doit avoir lieu entre dix jours et trois mois après la décision de poursuite), qu’entre l’audience de culpabilité et celle sur la sanction (six à neuf mois maximum). « Le corollaire au travail éducatif, c’est le temps. Or cette réforme limite, contraint dans le temps », réagit Carole Sulli, du Syndicat des avocats de France, aux côtés du syndicat d’éducateur SNPESPJJ- FSU, du SM et de l’Unicef. « Beaucoup de jeunes ne peuvent pas évoluer en un délai aussi court. Ça conviendra peut-être à certains, mais pas à d’autres. Ceux-là, on va les empêcher de bénéficier du travail éducatif et on va les juger sur la sanction sans qu’ils soient allés au bout du processus », complète Sophie Legrand. Fait particulièrement révélateur de la tendance du gouvernement à « confondre rapidité et efficacité » : la réforme multiplie les possibilités de contourner la césure et de recourir à des procédures de jugement rapides, notamment pour les mineurs qui enchaînent les passages à l’acte. Pourtant, « c’est justement en cas de réitération qu’il est nécessaire de prendre du recul et du temps, sauf à entraîner une escalade des sanctions posées, bien loin de la logique du primat de l’éducatif et sans que cela n’ait le moindre effet favorable sur le comportement du mineur, bien au contraire », rappelle le Syndicat de la magistrature.

En réalité, cette réforme, essentiellement procédurale, est « une réponse technicienne inadaptée à un problème simple », estime Vito Fortunato, du SNPES-PJJ-FSU : « le manque de moyens », à tous les étages de la machine judiciaire. Pour le Syndicat de la magistrature, les contraintes de temps imposées avec la césure seraient en effet inutiles – et les délais automatiquement raccourcis – si les effectifs de magistrats, greffiers et éducateurs étaient suffisants. Face à l’ampleur des besoins, l’augmentation de moyens annoncée par le gouvernement ne parvient pas à rassurer les organisations professionnelles. Outre qu’il est « incertain que les 70 magistrats supplémentaires correspondent effectivement à des créations de poste », explique Sophie Legrand, les 94 postes d’éducateurs promis par la Chancellerie ne suffiront pas à combler les manques. D’autant plus que ceux-ci risquent d’être engloutis par les vingt centres éducatifs fermés qui doivent voir le jour d’ici 2021, poursuivant une tendance à l’œuvre depuis une dizaine d’années : la vampirisation des moyens par les CEF, au détriment de mesures non coercitives.

Le centre éducatif fermé étend son emprise

« Dans un contexte de maîtrise, voire de réduction, des budgets alloués à la Protection judiciaire de la jeunesse, la création des CEF, compte tenu de leur coût(15), n’a pu se faire – au moins en partie – qu’au détriment des autres structures, dont le coût est sensiblement plus faible »(16), relevaient des sénateurs à l’occasion d’une mission d’information sur la réinsertion des mineurs enfermés(17). Auditionnée par les parlementaires, Sophie Diehl, de la Fédération des associations socio-judiciaires Citoyens et Justice, ne mâchait pas ses mots : « Le dispositif global diversifié est sacrifié sur l’autel des CEF. » D’après la conseillère technique, le placement éducatif diversifié au pénal a diminué de 39 % entre 2010 et 2018, au profit, notamment, de l’augmentation du nombre de placements en CEF. « Résultat : moins de jeunes accompagnés, dans des structures moins diversifiées, moins adaptées et plus stigmatisantes », déplore-t-elle. En annonçant la création de vingt centres supplémentaires, la ministre accélère encore le processus de monopolisation de la réponse éducative par les CEF. Et lui fait même atteindre son point de bascule : « Avec 72 structures, les CEF deviendront plus nombreux que les foyers classiques », relève le SNPES-PJJ-FSU. Au total, « on a une étape, le foyer, qui est en train de disparaître, s’alarme Lucille Rouet, du Syndicat de la magistrature. On donne progressivement aux CEF la place du placement classique. Sauf que ce n’est pas un placement classique, puisqu’on est obligé de placer le mineur sous contrôle judiciaire pour pouvoir l’ordonner. » Et de prendre le risque, si le mineur ne respecte pas le placement ou réitère, de devoir révoquer la mesure et de l’envoyer en prison. Alors même que le ministère assurait « offrir », avec ces vingt nouveaux centres, « une alternative renforcée à l’incarcération provisoire des mineurs »(18), cette mesure risque donc au contraire, en étendant encore l’emprise du contrôle judiciaire, d’entraîner, par ricochet, une nouvelle hausse du recours à l’incarcération.

Pour une autre distribution des moyens

« Est-ce qu’on n’aurait pas plutôt intérêt à mettre tous ces moyens annoncés pour les CEF sur la prise en charge en amont, sur le milieu ouvert, les foyers éducatifs ? », interroge Carole Sulli, du Syndicat des avocats de France. C’est en tout cas ce que pensent les sénateurs qui se sont penchés sur la question – et avec eux, la grande majorité des professionnels de la justice des mineurs. Les parlementaires plaident ainsi pour une réorientation des moyens, en particulier vers « le suivi en milieu ouvert et l’hébergement diversifié »(19) . Mais ce sont aussi, plus en amont encore, les ressources de l’Aide sociale à l’enfance qui devraient être renforcées. Car « si l’on entre dans cette escalade des sanctions, explique Sophie Legrand, c’est aussi parce qu’on n’a pas eu les moyens d’intervenir correctement plus tôt, y compris avant le pénal, en prévention, en protection de l’enfance… Il y a des tas d’enfants qui n’arriveraient jamais au pénal si on les avait mieux pris en charge petits », regrette la magistrate.

« Il y a des tas d’enfants qui n’arriveraient jamais au pénal si on les avait mieux pris en charge petits. »

Si les termes du débat public ont de plus en plus tendance à les opposer, enfance délinquante et enfance en danger en réalité se confondent. Plus précisément, « si un enfant en danger peut [éventuellement] être dangereux, un enfant dangereux est forcément un enfant en danger », pour reprendre les termes du sénateur Michel Amiel. De fait, la moitié des mineurs pris en charge pénalement ont également fait l’objet d’un suivi au titre de l’enfance en danger(20). Une proportion qui ne prend nécessairement pas en compte les enfants dont le contexte de vie aurait justifié qu’ils soient pris en charge par la protection de l’enfance mais qui ne l’ont pas été, faute d’avoir été identifiés ou faute de moyens. Famille « dysfonctionnelle » source de « graves carences éducatives et affectives » ; « troubles du comportement fréquents » prenant la forme d’une « impulsivité, d’un manque de contrôle de soi, d’une faible résistance à la frustration débouchant rapidement sur des gestes violents » ; état de santé « souvent dégradé », avec des addictions fréquentes, entraînant elles-mêmes « une absence de motivation et perturbant les apprentissages, au point d’entraîner un décrochage scolaire précoce » : tel est le « profil type » du mineur enfermé qui ressort de la mission d’information menée par les sénateurs. Parmi ces enfants, une catégorie se distingue : les mineurs non accompagnés. Arrivés seuls, sans argent, dans un pays dans lequel ils ne connaissent personne et dont ils ne comprennent souvent pas la langue, nombreux sont ceux qui tombent entre les mains de réseaux mafieux. Avalés par la machine judiciaire, ils subissent, plus encore que les autres, la dureté d’un système qui refuse de les prendre pour ce qu’ils sont : des enfants en danger que l’on se doit avant tout de protéger.

Par Laure Anelli

(1) CNCDH, Avis sur la privation de liberté des mineurs, 27 mars 2018.
(2) CNCDH, op. cit.
(3)Une proportion largement plus importante que pour les majeurs, la détention provisoire concernant un tiers des détenus de plus de 18 ans.
(4) Sénat, Rapport fait au nom de la mission d’information sur la réinsertion des mineurs enfermés, 25 septembre 2018.
(5) Laurent Mucchielli, « Des délinquants “de plus en plus jeunes et de plus en violents” : sociologie d’une prénotion », Délibérée, La Découverte, 2017.
(6) Par exemple, le fait que des violences soient commises aux abords d’un établissement scolaire devient une circonstance aggravante par la loi n°98-468 du 17 juin 1998. La loi n°2003-329 du 18 mars 2003 introduit une circonstance aggravante lorsque les violences sont commises dans les gares ou moyens de transport collectifs. Celle du 2 mars 2010 renforçant la lutte contre les violences de groupes et la protection des personnes chargées d’une mission de service public, pénalise le stationnement dans les halls d’immeuble.
(7) Sénat, op. cit.
(8) Loi n°2007-297 du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance.
(9) Si la peine d’emprisonnement encourue est supérieure ou égale à sept ans ou si elle est supérieure ou égale à cinq ans pour un délit de violences volontaires, d’agression sexuelle ou un délit commis avec la circonstance aggravante de violences. Article 10-2 de l’ordonnance du 2 février 1945.
(10) Chiffres clés de la justice.
(11) Sénat, op. cit.
(12) Le nombre de peines d’emprisonnement ferme prononcées par les tribunaux
(13) Au début du mois de mars 2017, 56 mineurs étaient poursuivis essentiellement pour association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste (source : T. Baranger, L. Bonelli et F. Pichaud « La justice des mineurs et les affaires de terrorisme », Journal du droit des jeunes, 2017/4-5).
(14) CNCDH, op. cit.
(15) Évalué à 690€ par jeune et par jour en 2018.
(16) Une journée en famille d’accueil ou en unité éducative d’hébergement diversifié s’élevait en moyenne, en 2014, à 155€ euros par journée par mineur accueilli (à la même époque, la prise en charge en CEF avoisinait les 650€).
(17) Sénat, op. cit.
(18) « Justice des mineurs : les grands axes de la réforme de Belloubet », Le Point, 11/09/2019.
(19) Sénat, op. cit.
(20) Assemblée nationale, Rapport d’information sur la justice des mineurs, Jean Terlier et Cécile Untermaier, 20 février 2019.