MNA : LES TESTS OSSEUX VALIDES PAR LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL

22 Mar, 2019 | A la Une, Lois, décrets, Jurisprudence

Dans une décision rendue le 21 mars 2019, en réponse à une QPC, les sages du conseil constitutionnels ont validé les tests osseux pour déterminer si un migrant est mineur ou majeur. Ces examens controversés, « peuvent comporter une marge d’erreur significative », ont toutefois noté les « sages ». Cette marge d’erreur peut en effet aller de dix-huit mois à trois ans.

Les sages précisent que  ces examens ne peuvent à eux seuls permettre de déterminer si l’intéressé est mineur. « Le doute profite à l’intéressé », selon le texte. « Il appartient aux autorités administratives et judiciaires compétentes de donner leur plein effet à l’ensemble de ces garanties », écrivent-ils

Dans cette décision, le Conseil constitutionnel consacre également « une exigence constitutionnelle de protection de l’intérêt supérieur de l’enfant ».

Le texte de la décision du conseil constitutionnel 2018-768 QPC

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 21 décembre 2018 par la Cour de cassation (première chambre civile, arrêt n° 1242 du même jour), dans les conditions prévues à l’article 61-1 de la Constitution, d’une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour M. Adama S. par la SCP Zribi et Texier, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2018-768 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l’article 388 du code civil, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2016-297 du 14 mars 2016 relative à la protection de l’enfant.

Au vu des textes suivants :

  • la Constitution ;
  • l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
  • le code civil ;
  • la loi n° 2016-297 du 14 mars 2016 relative à la protection de l’enfant ;
  • le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;

Au vu des pièces suivantes :

  • les observations présentées pour le requérant par la SCP Zribi et Texier, enregistrées le 14 janvier 2019 ;
  • les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 14 janvier 2019 ;
  • les observations en intervention présentées pour les associations Groupe d’information et de soutien des immigrés, Cimade, Médecins du monde, Association nationale d’assistance aux frontières pour les étrangers, Avocats sans frontières France, le Secours catholique et pour le syndicat des avocats de France et le syndicat de la magistrature par la SCP Zribi et Texier, enregistrées le 14 janvier 2019 ;
  • les observations en intervention présentées pour l’association Avocats pour la défense des droits des étrangers par Me Brigitte Jeannot, avocat au barreau de Nancy, enregistrées le 14 janvier 2019 ;
  • les observations en intervention présentées pour l’association Ligue des droits de l’homme par la SCP Spinosi et Sureau, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation, enregistrées le 14 janvier 2019 ;
  • les secondes observations présentées pour le requérant par la SCP Zribi et Texier, enregistrées le 29 janvier 2019 ;
  • les secondes observations présentées pour les associations Groupe d’information et de soutien des immigrés, Cimade, Médecins du monde, Association nationale d’assistance aux frontières pour les étrangers, Avocats sans frontières France, le Secours catholique et pour le syndicat des avocats de France et le syndicat de la magistrature par la SCP Zribi et Texier, enregistrées le 29 janvier 2019 ;
  • les secondes observations présentées pour l’association Avocats pour la défense des droits des étrangers par Me Jeannot, enregistrées le 29 janvier 2019 ;
  • les autres pièces produites et jointes au dossier ;

Après avoir entendu Me Isabelle Zribi, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation, pour le requérant et pour l’association Groupe d’information et de soutien des immigrés et d’autres parties intervenantes, Me Patrice Spinosi, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation, pour l’association Ligue des droits de l’homme, partie intervenante, Me Jeannot, pour l’association Avocats pour la défense des droits des étrangers, partie intervenante, et M. Philippe Blanc, désigné par le Premier ministre, à l’audience publique du 12 mars 2019 ;

Et après avoir entendu le rapporteur ;

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S’EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT:

  1. L’article 388 du code civil, dans sa rédaction résultant de la loi du 14 mars 2016 mentionnée ci-dessus, prévoit :« Le mineur est l’individu de l’un ou l’autre sexe qui n’a point encore l’âge de dix-huit ans accomplis.
    « Les examens radiologiques osseux aux fins de détermination de l’âge, en l’absence de documents d’identité valables et lorsque l’âge allégué n’est pas vraisemblable, ne peuvent être réalisés que sur décision de l’autorité judiciaire et après recueil de l’accord de l’intéressé.
    « Les conclusions de ces examens, qui doivent préciser la marge d’erreur, ne peuvent à elles seules permettre de déterminer si l’intéressé est mineur. Le doute profite à l’intéressé.
    « En cas de doute sur la minorité de l’intéressé, il ne peut être procédé à une évaluation de son âge à partir d’un examen du développement pubertaire des caractères sexuels primaires et secondaires ».
  2. Selon le requérant, ces dispositions méconnaîtraient tout d’abord l’exigence de protection de l’intérêt de l’enfant fondée sur le dixième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946, dès lors que le manque de fiabilité des examens radiologiques osseux conduirait à juger comme majeurs des mineurs étrangers isolés et à les exclure en conséquence du bénéfice des dispositions législatives destinées à les protéger. Il est également soutenu que le droit à la protection de la santé serait méconnu par les dispositions contestées, en ce qu’elles autoriseraient le recours à un examen radiologique comportant des risques pour la santé, sans finalité médicale et sans le consentement réel de l’intéressé. Ces dispositions contreviendraient, pour les mêmes motifs, au principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine. Elles seraient également contraires au droit au respect de la vie privée dans la mesure où elles aboutiraient à la divulgation de données médicales concernant les mineurs isolés, sans que ceux-ci y aient consenti. Enfin, les dispositions contestées seraient entachées d’incompétence négative dans des conditions portant atteinte au principe d’égalité devant la loi en tant qu’elles permettraient le recours à des examens osseux en l’absence de « documents d’identité valables » sans préciser cette notion ni renvoyer à d’autres dispositions législatives qui le feraient.
  3. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur les deuxième et troisième alinéas de l’article 388 du code civil.
  4. Les intervenants soulèvent des griefs similaires à ceux du requérant. Selon certains, les dispositions contestées méconnaîtraient également le droit au respect de l’intégrité physique et le principe de précaution.

– Sur le grief tiré de la méconnaissance de l’exigence de protection de l’intérêt supérieur de l’enfant :

  1. Aux termes des dixième et onzième alinéas du Préambule de la Constitution de 1946 : « La Nation assure à l’individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement. – Elle garantit à tous, notamment à l’enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs ».
  2. Il en résulte une exigence de protection de l’intérêt supérieur de l’enfant. Cette exigence impose que les mineurs présents sur le territoire national bénéficient de la protection légale attachée à leur âge. Il s’ensuit que les règles relatives à la détermination de l’âge d’un individu doivent être entourées des garanties nécessaires afin que des personnes mineures ne soient pas indûment considérées comme majeures.
  3. Les dispositions contestées autorisent le recours à un examen radiologique osseux aux fins de contribuer à la détermination de l’âge d’une personne. En l’état des connaissances scientifiques, il est établi que les résultats de ce type d’examen peuvent comporter une marge d’erreur significative.
  4. Toutefois, en premier lieu, seule l’autorité judiciaire peut décider de recourir à un tel examen.
  5. En deuxième lieu, cet examen ne peut être ordonné que si la personne en cause n’a pas de documents d’identité valables et si l’âge qu’elle allègue n’est pas vraisemblable. Il appartient à l’autorité judiciaire de s’assurer du respect du caractère subsidiaire de cet examen.
  6. En troisième lieu, cet examen ne peut intervenir qu’après que le consentement éclairé de l’intéressé a été recueilli, dans une langue qu’il comprend. À cet égard, la majorité d’une personne ne saurait être déduite de son seul refus de se soumettre à un examen osseux.
  7. En dernier lieu, le législateur a pris en compte, dans les garanties qu’il a établies, l’existence de la marge d’erreur entourant les conclusions des examens radiologiques. D’une part, il a imposé la mention de cette marge dans les résultats de ces examens. D’autre part, il a exclu que ces conclusions puissent constituer l’unique fondement dans la détermination de l’âge de la personne. Il appartient donc à l’autorité judiciaire d’apprécier la minorité ou la majorité de celle-ci en prenant en compte les autres éléments ayant pu être recueillis, tels que l’évaluation sociale ou les entretiens réalisés par les services de la protection de l’enfance. Enfin, si les conclusions des examens radiologiques sont en contradiction avec les autres éléments d’appréciation susvisés et que le doute persiste au vu de l’ensemble des éléments recueillis, ce doute doit profiter à la qualité de mineur de l’intéressé.
  8. Il appartient aux autorités administratives et judiciaires compétentes de donner leur plein effet aux garanties précitées.
  9. Il résulte de ce qui précède que, compte tenu des garanties entourant le recours aux examens radiologiques osseux à des fins de détermination de l’âge, le législateur n’a pas méconnu l’exigence de protection de l’intérêt supérieur de l’enfant découlant des dixième et onzième alinéas du Préambule de la Constitution de 1946. Le grief tiré de la méconnaissance de cette exigence doit donc être écarté.

– Sur le grief tiré de la méconnaissance du droit à la protection de la santé :

  1. En premier lieu, il n’appartient pas au Conseil constitutionnel de substituer son appréciation à celle du législateur sur les conséquences sur la santé de la réalisation d’un examen radiologique osseux, dès lors que cette appréciation n’est pas, en l’état des connaissances, manifestement inadéquate.
  2. En second lieu, un examen radiologique osseux ne peut être ordonné que dans les conditions déterminées aux paragraphes 8, 9 et 10 et en tenant compte d’un avis médical qui le déconseillerait à raison des risques particuliers qu’il pourrait présenter pour la personne concernée.
  3. Il en résulte que le grief tiré de la méconnaissance du droit à la protection de la santé doit être écarté.

– Sur les griefs tirés de la méconnaissance du principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine et de l’inviolabilité du corps humain :

  1. Le Préambule de la Constitution de 1946 a réaffirmé que tout être humain, sans distinction de race, de religion ni de croyance, possède des droits inaliénables et sacrés. La sauvegarde de la dignité de la personne contre toute forme d’asservissement et de dégradation est au nombre de ces droits et constitue un principe à valeur constitutionnelle.
  2. Les examens radiologiques osseux contestés visent uniquement à déterminer l’âge d’une personne et ne peuvent être réalisés sans son accord. Ils n’impliquent aucune intervention corporelle interne et ne comportent aucun procédé douloureux, intrusif ou attentatoire à la dignité des personnes. En conséquence, manquent en fait les griefs tirés de l’atteinte au principe du respect de la dignité de la personne humaine et à l’inviolabilité du corps humain.

– Sur les autres griefs :

  1. En premier lieu, la notion de « documents d’identité valables », qui fait référence aux documents dont l’authenticité est établie au regard des règles prévues notamment par l’article 47 du code civil, étant suffisamment précise, le législateur n’a en tout état de cause pas méconnu l’étendue de sa compétence.
  2. En second lieu, les dispositions contestées, qui permettent uniquement la réalisation d’examens radiologiques osseux en vue de la détermination de son âge avec l’accord de la personne, ne contreviennent pas non plus au droit au respect de la vie privée.
  3. Les deuxième et troisième alinéas de l’article 388 du code civil, qui ne méconnaissent pas non plus le principe de précaution ni aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent donc être déclarés conformes à la Constitution.

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :

Article 1er. – Les deuxième et troisième alinéas de l’article 388 du code civil, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2016-297 du 14 mars 2016 relative à la protection de l’enfant, sont conformes à la Constitution.

Article 2. – Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l’article 23-11 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.

Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 21 mars 2019, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, M. Alain JUPPÉ, Mmes Dominique LOTTIN, Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI, MM. Jacques MÉZARD et Michel PINAULT.

Rendu public le 21 mars 2019.

ECLI:FR:CC:2019:2018.768.QPC